Le climat délétère qui règne depuis la montée des mouvements d’autodétermination au Sahel entretient une confusion persistante entre sentiment antifrançais et rejet de la Françafrique.
En Afrique subsaharienne, l’hostilité envers les étrangers est loin d’être un phénomène dominant. Les unions interculturelles, interethniques et interraciales sont courantes et souvent perçues comme des stratégies efficaces de cohabitation pacifique, renforçant les liens entre communautés rivales. Pourtant, certains acteurs politiques ou idéologiques attisent les braises d’un ressentiment identitaire ou xénophobe pour servir des objectifs souvent inavoués.
Alors que la France est poussée vers la sortie dans plusieurs pays sahéliens, une certaine opacité demeure quant à la véritable nature de ce rejet, après un siècle et demi de présence française en Afrique. En moins de cinq ans, la France a dû retirer, sous pression populaire, ses troupes militaires de plusieurs pays africains où elles étaient implantées depuis des décennies.
Apologie d’un sentiment anti-français ?
À la veille des indépendances, le projet politique franco-africain a instauré une diplomatie de défense et d’économie tournée vers les intérêts français, tout en conférant une relative autonomie aux États africains. Cependant, cette relation postcoloniale a vite pris une connotation néocoloniale, marquée par des mécanismes de dépendance économique et politique qui ont nourri une pauvreté endémique.
En 1960, la France comptait 41 millions d’habitants, contre une population africaine francophone équivalente. Aujourd’hui, la France en compte 68 millions, tandis que l’Afrique francophone dépasse les 380 millions. Dans ce déséquilibre démographique et économique, le sentiment d’une domination persistante nourrit un ressentiment profond contre la Françafrique.
Ce rejet ne vise pas les Français en tant qu’individus, mais plutôt un système perçu comme un outil d’exploitation systématique des ressources africaines au détriment des populations locales. Ce même système permet à des dirigeants, rejetés par leurs peuples, de continuer à bénéficier du soutien tacite de Paris.
Entre manipulation et effet domino
Si le rejet de la Françafrique est légitime, la confusion avec un sentiment antifrançais est savamment entretenue par une propagande qui exploite les émotions populaires. Les drapeaux russes brandis face aux drapeaux français brûlés dans certaines capitales africaines témoignent davantage du rejet d’une politique française que d’une hostilité envers le peuple français lui-même.
Cette confusion est largement amplifiée par les réseaux sociaux, où des discours propagandistes jouent sur les symboles et les émotions pour susciter l’indignation collective. Pourtant, même lorsque la colère populaire s’exprime par des slogans ou des actions violentes, il s’agit rarement d’un rejet des individus français. Cependant, la vulnérabilité des expatriés français reste réelle, surtout dans des contextes où les tensions diplomatiques peuvent déraper en attaques ciblées.
Le cap manqué par Emmanuel Macron ?
La relation franco-africaine est profondément enracinée dans une histoire commune. Il existe des Africains devenus Français et des Français d’origine africaine. De nombreuses familles africaines comptent des membres métissés ou de nationalité française, symbolisant un lien humain indélébile entre les deux espaces.
Cependant, le repositionnement géopolitique d’autres puissances, notamment la Russie et la Chine, a ouvert la voie à une concurrence acharnée pour l’influence en Afrique. Cette situation est exacerbée par une propagande qui rend la France responsable des maux structurels persistants du continent : pauvreté, insécurité, corruption.
Emmanuel Macron, malgré ses discours mémoriels et les initiatives symboliques telles que la restitution d’Å“uvres d’art africaines, peine à rompre clairement avec l’héritage de la Françafrique. À cela s’ajoutent des sujets sensibles, comme les remarques sur la démographie africaine ou l’homosexualité, qui alimentent le sentiment d’ingérence culturelle.
Une distinction nécessaire
En réalité, ce que l’on observe aujourd’hui est avant tout une remise en cause de la Françafrique. Mais comme il est difficile de dissocier ce système des individus qui le représentent, l’amalgame entre anti-Françafrique et antifrançais persiste. L’essentiel réside pourtant dans cette nuance cruciale : les peuples africains rejettent une politique perçue comme néocoloniale, pas une nation ou un peuple en particulier.
Comme le rappelle un proverbe africain : « L’aiguille tire le fil, et le fil tire le tissu. » Une dynamique est enclenchée, mais elle doit être comprise avec lucidité pour éviter que le rejet légitime d’un système ne se transforme en hostilité généralisée.