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La démocratie du faire-valoir !

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Un phénomène commence par devenir légion en Afrique. La vitalité démocratique se résume de plus en plus en  de parodies d’élections avec des scrutins gagnés à l’avance. Entre règles du jeu taillées sur mesure et institutions aux ordres, tout est mis en Å“uvre pour un passage en douce d’un mandat à un énième.

Pour ce faire, l’une des trouvailles usitées est la limitation de contestations avec des candidats dociles comme de « petits toutous inoffensifs», triés sur le volet pour valider la forfaiture.

Ainsi, les candidats sérieux, s’ils ne sont persécutés dans leur animation de la vie politique, pour que même leurs sympathisants et électeurs n’osent s’afficher, sont contraints à l’exil, ou mis en prison. D’aucuns sont purement et simplement liquidés. Toutes les voix discordantes sont bâillonnées et le maître à jouer peut ainsi rouler en roue libre.

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De fait, les élections à double tours avec enjeux sont simplement conjuguées au passé avec  un score à la soviétique dès le premier tour. De quoi faire retourner dans leur tombe les pères fondateurs de la démocratie ;  de Montesquieu, figure fondatrice de la science politique à Alexis de Tocqueville, théoricien de la démocratie.

Bis répétita

Sans surprise, Paul Kagame au pouvoir depuis maintenant 24 ans, succède à lui-même à un énième mandat à la tête du Rwanda. Les résultats le donnent largement en tête. Selon les chiffres provisoires des autorités électorales, au soir du double scrutin du lundi 15 juin 2024, le président sortant, candidat à sa propre succession est crédité de plus de  99 % des voix. Battant ainsi son propre record de 98 % à la précédente présidentielle de 2017.

Sur neuf candidats ayant déposé leur dossier pour la présidentielle, seuls trois dont le président sortant ont été retenus pour cette élection.

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Comme en 2017, les candidats autorisés face au président sortant sont  le chef du Parti des Verts démocratiques (DGPR-Democratic Green Party of Rwanda  en Anglais) Frank Habineza et l’indépendant Philippe Mpayimana.

Kagamé décroche ainsi un quatrième mandat consécutif à la tête de ce pays d’Afrique de l’Est. Président de la République depuis le 24 mars 2000, après avoir été vice-président et ministre de la Défense de 1994 à 2000.

Les castings désobligeants

Candidat face à Kagamé,  Frank Habineza, est un transfuge du parti au pouvoir, le Front patriotique rwandais (FPR). Son parti n’est qu’une petite formation d’opposition, la seule autorisée à être active. Le DGPR avait été l’unique parti homologué du pays à s’opposer à la réforme controversée de la Constitution adoptée en décembre 2015, qui permet à Paul Kagamé de se présenter à un énième mandat et de potentiellement diriger le pays jusqu’en 2034.

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Quant à Philippe Mpayimana, 46 ans, journaliste ; jusqu’à son retour d’exil en février 2017 où il va participer pour la première fois à la présidentielle de la même année, était quasi-inconnu au Rwanda.

L’opposante rwandaise Diane Rwigara,  a vu sa candidature rejetée à cette élection présidentielle. Elle n‘a  pu fournir  un extrait de casier judiciaire comme l’exigeait la commission nationale électorale, ni un  document prouvant sa nationalité rwandaise. Arrêtée en 2017, son dossier de candidature avait également été rejeté par la commission électorale en raison de faux présumés à l’élection de la même année, détenue avant d’être libérée en octobre 2018.  Diane Rwigara a pris ses distances avec le FPR après la mort de son père, en février 2015, dans un accident de la route, selon la police. Une version qu’elle  conteste   dénonçant un « assassinat ».

Une autre figure de l’opposition, Victoire Ingabire, n’a pas non plus été autorisée à se présenter. Une décision d’un tribunal  avait rejeté sa demande de restauration de ses droits civiques, après sa condamnation en 2013 à quinze ans de prison, pour « minimisation du génocide de 1994 ».

Le casting des candidats à l’élection rappelle, bien d’autres dans des pays d’Afrique. Un phénomène rampant qui fait de la démocratie, un simulacre d’élections gagnées d’avance avec peu ou prou de possibilités de contestations. Et le cas échéant sans grands impacts.

Des tentacules …

En Côte d’Ivoire à la présidentielle de 2020, seulement quatre candidats sur 44 ont été autorisés par la Cour constitutionnelle à briguer la présidentielle  du 31 octobre. Outre la candidature à sa propre succession de Alassane Ouattara, la sélection du candidat Kouadio Konan Bertin (KKB) a étonné l’opinion. Non seulement il a réussi à recueillir les signatures d’au moins 1 % des inscrits dans les 17 régions du pays ; il n’a pas rejoint pas les rangs du front commun de l’opposition à la candidature d’Alassane Ouattara à un troisième mandat. Seul candidat indépendant et dissident du PDCI de Bédié, il fut candidat à l’élection  présidentielle en 2015 et n’avait obtenu que 3,88 % des suffrages exprimés.

Pascal Affi N’Guessan  ancien proche de Laurent Gbagbo, alors à la CPI était candidat d’un Front populaire Ivoirien (FPI) divisé en deux. Son aile taxée de modérée était face à l’autre aile dite : « Gbagbo ou rien ». Après s’être peu à peu éloigné de son ancien mentor, Laurent Gbagbo, le chef  du FPI a scellé un accord de partenariat avec le parti au pouvoir en 2023. Opposé à un troisième mandat de Ouattara à cette élection de 2020, il a passé près de deux mois en détention pour contestation de la réélection du président ivoirien. Il avait également passé deux ans en prison après la crise post-électorale de 2010-2011.

Feu Henri Konan Bédié  le « Sphinx de Daoukro » 86 ans à l’époque était également en lice pour cette élection. Ancien allié de Ouattara en 2010, et 2015, plusieurs membres de son parti ont obtenu des postes ministériels au sein du gouvernement et continuaient de les occuper, en dépit de la rupture de l’alliance en 2018.

Laurent Gbagbo, et Guillaume Soro radiés de la liste électorale ont vu leur candidature rejetée par le conseil constitutionnel. L’ancien bras droit de Ouattara, Guillaume Soro, avait été condamné à vingt ans de prison pour détournement de fonds. Laurent Gbagbo quant à lui a été radié de la liste électorale. Exilé, il n’a pas pu rentrer en côte d’ivoire pour signer sa déclaration de candidature, faute de documents de voyage.

Un mal profond

Au Bénin à la présidentielle du 11 avril 2021,  Patrice Talon, arrivé au pouvoir en 2016, a affronté avec sa colistière Mariam Chabi Talata pour sa réélection deux duos. Les grandes figures de l’opposition se trouvant en exil ou condamnées à des peines d’inéligibilité leur interdisant de se présenter.  Le duo Alassane Soumanou et Paul Hounkpè est issu de ce qui reste du parti Force cauris pour un Bénin émergent (FCBE)  après la dissension de l’aile dure.

Le second duo Corentin Kohoué et Irénée Josias Agossa est constitué au forceps de démissionnaires du principal parti d’opposition Les Démocrates au moment de constitution des candidatures. Ils ont réussi à obtenir le parrainage des élus du pouvoir, pendant que les candidats de leur parti de provenance n’en ont pas eu.  Et sont allés comme indépendants à cette élection sous la bannière de la Dynamique restaurer la confiance (RLC).

La candidate légitime du parti Les Démocrates, Réckya Madougou, sera arrêtée le 3 mars 2021 à Porto-Novo et condamnée à 20 ans de prison pour « financement du terrorisme ». Le colistier Agossa principal initiateur du RLC va se fondre plus tard dans l’un des partis de la mouvance en 2023, notamment l’Union Progressiste le Renouveau (UPR), après avoir constitué le mouvement en parti politique. Le candidat à la présidentielle Corentin Kohoué, environ six mois plus tard après la présidentielle dira de sa dissension avec son colistier : « Les duos que nous avons constitués pendant l’élection présidentielle ressemblent au mariage du 16e siècle dont les couples se découvrent devant le Maire et le Curé le jour du mariage. Donc, s’il ne plaît plus à un couple de continuer ensemble, il se sépare ».

A cette élection, les dossiers acceptés étaient les seuls à être complets, selon la Commission électorale. Les autres n’ayant pas   recueilli le parraine d’élus selon le code électoral.

Au Tchad en 2024, Succès Masra, l’opposant devenu premier ministre après des accords suite à de vives manifestations qui l’ont conduit en exil a été candidat à la présidentielle du 6 mai dernier. Le principal opposant au gouvernement de transition, Yaya Dillo, quant à lui  a été tué par l’armée dans l’assaut du siège de son parti le 28 février. Accusé d’avoir mené la veille une attaque contre les locaux des services de renseignements.

Sans surprise le général Mahamat Idriss Déby, chef de la junte au pouvoir au Tchad, trois ans après sa pris le pouvoir suite au décès de son père Idriss Déby alias Idriss Déby Itno, a été élu au premier tour avec 61% de voix.

En 2020 au Togo, le président sortant a récolté plus de 72 % des suffrages, loin devant le candidat de l’opposition Agbéyomé Kodjo. L’opposant historique qui se présentait pour la troisième fois face à Faure Gnassingbé a dénoncé des fraudes et revendiqué la victoire.  Il sera contraint à l’exil ou il décède le 3 mars 2024.

Des oasis dans le désert

Quelques rares cas de vitalité démocratique subsistent malgré la propension des élections gagnées à l’avance qui devient inquiétante au point de faire le lit aux coups d’Etat militaires.

Au Sénégal, Bassirou Diomaye Faye candidat du  principal parti d’opposition  a remporté la présidentielle dès le premier tour avec 54,28 % des suffrages au terme du scrutin du 24 mars 2024. Le candidat du parti Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (PASTEF), était libéré de prison en compagnie de Ousman Sonko, redoutable opposant du pouvoir à neuf jours du scrutin.

Cette présidentielle qui s’est déroulée après plusieurs mois de vives tensions et incertitudes sur la tenue des élections dans le pays, l’a fait  devancer le candidat du pouvoir (Alliance pour la République (APR) de Macky Sall), Amadou Ba crédité de 35,79 % des voix.

Au Libéria, avec 50,64 % des voix, Joseph Boakai du Parti de l’unité (UP) a remporté la présidentielle face au président sortant George Weah, 49,36 %.  Élu en 2017, George Weah, du Congrès pour le changement démocratique (CDC), candidat à sa réélection arrivé en tête du premier tour a reconnu la victoire de son adversaire dès la compilation des résultats finaux du second tour de l’élection présidentielle  du 14 novembre 2023.

Ces quelques rares exemples à l’heure où l’Afrique connait de vives crises politiques,  incitent à plus de vitalité démocratique pour une réelle expression du choix des populations pour la gouvernance des Etats.

Désillusion

Les premiers pas de Paul Kagamé comme ceux de certains comme Macky Sall au Sénégal, Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire ou Patrice Talon au Bénin avaient augurés d’un élan d’espoir en une Afrique qui s’éveille. Beaucoup pouvaient jurer par le nom de ces hommes d’Etat. Mais entre l’admiration et la réalité de l’intérieur, le désenchantement n’est souvent pas loin.

Les attentes laissent généralement place à une déception pour nombre de personnes ayant cru enfin à l’avènement d’homme providentiel. Le contraire aurait été le contraire puisque les hommes providentiels en Afrique dans bien de cas se révèlent avec le temps comme des « incidents de parcours ».

Contrairement à Nelson Mandela et quelques rares leaders politiques qui ont su dessiner l’horizon et se retirer de la scène, la plupart ne voient l’avenir sans eux et finissent par le rendre incertain. Au pire des cas, obscur alors qu’il faut savoir quitter les choses avant qu’elles ne vous quittent.

Si tant est que la démocratie peut se réinventer en tenant compte de certaines réalités, le leader visionnaire qui trace l’avenir, n’est pas généralement la chose la mieux partagée face à la boulimie du pouvoir.  Ce, au prix d’une démocratie du faire-valoir.

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