Depuis la création de l’Alliance des États du Sahel (AES), l’Afrique de l’Ouest vit une recomposition géopolitique inédite. Alors que l’organisation se présente comme une alternative à une CEDEAO jugée parfois trop alignée sur des intérêts extérieurs, le Togo de Faure Gnassingbé semble avoir adopté une stratégie singulière : trahir subtilement la CEDEAO tout en prétendant en être un fidèle allié. Dans cette dynamique, New World TV s’érige en porte-parole d’une narrative où Patrice Talon, président du Bénin, est systématiquement présenté comme le « perturbateur » régional, celui qui menace la stabilité des pays de l’AES.
Cette instrumentalisation de la chaîne togolaise, qui s’affiche pourtant comme une plateforme « indépendante », soulève des questions sur son véritable rôle dans ce jeu d’ombres géopolitique. L’AES, en rassemblant des pays aux trajectoires politiques souvent marquées par l’instabilité ou des ruptures institutionnelles, se positionne comme un regroupement à contre-courant des principes démocratiques promus par la CEDEAO. Le Bénin, fer de lance d’un modèle démocratique plus orthodoxe, devient dès lors une cible évidente. Et qui mieux que New World TV pour relayer ce message ?
Dans cette entreprise, le récit est soigneusement construit : Patrice Talon est présenté comme l’homme qui veut déstabiliser la région, comme un « meneur » d’une opposition invisible à l’AES. Pendant ce temps, Faure Gnassingbé se donne le beau rôle : médiateur pacifique, garant de la stabilité, homme providentiel dans un espace tourmenté. Pourtant, les faits disent autre chose. Depuis son engagement dans l’AES, le président togolais joue un double jeu : d’un côté, il continue de se réclamer de la CEDEAO ; de l’autre, il soutient une alliance qui, par sa nature même, divise davantage qu’elle ne fédère.
La rhétorique développée sur les plateaux de New World TV s’inscrit parfaitement dans cette stratégie : il s’agit de détourner l’attention des contradictions du régime togolais en ciblant un ennemi extérieur. Patrice Talon, par son refus d’adhérer à l’AES et son attachement aux principes démocratiques, devient l’homme à abattre dans les discours. La chaîne multiplie les « analyses », les « débats » et les « exclusivités », tous orientés dans le même sens : dépeindre le Bénin comme une menace pour l’équilibre régional.
Pourtant, le contraste est saisissant lorsque l’on regarde de plus près les sujets abordés par New World TV. Prenons l’exemple de la nouvelle Constitution adoptée au Togo en 2024, un texte largement controversé qui permet désormais à Faure Gnassingbé d’être président du Togo à vie. Malgré les nombreuses critiques des acteurs politiques et des organisations de la société civile, ce sujet n’a jamais fait l’objet d’un débat sérieux sur la chaîne. Les journalistes, d’ordinaire si prompts à critiquer les réformes constitutionnelles ou électorales au Bénin, deviennent étonnamment muets dès qu’il s’agit de questionner le régime togolais.
Cette asymétrie éditoriale s’étend à bien d’autres sujets : les tensions autour des élections au Togo, les cas de répression des manifestants, ou encore les entraves à la liberté d’expression dans le pays. Tous ces thèmes, qui devraient légitimement occuper les plateaux de New World TV, sont soigneusement évités ou traités de manière superficielle. Par contraste, la moindre controverse politique ou économique au Bénin est amplifiée, décortiquée et utilisée pour alimenter la narrative d’un Patrice Talon « destructeur » des équilibres régionaux.
Mais derrière cette propagande se cachent des enjeux bien plus profonds. En diabolisant le président béninois, le régime togolais cherche à justifier ses propres dérives : centralisation du pouvoir, musellement des voix critiques et alignement sur des intérêts qui ne servent ni le Togo, ni ses voisins. Cette campagne médiatique orchestrée trahit une peur : celle de voir le modèle béninois s’imposer comme une référence en Afrique de l’Ouest.
Le rôle de New World TV dans cette entreprise pose également une question essentielle : où s’arrête le journalisme et où commence la manipulation ? En se pliant aux exigences d’un pouvoir en quête de légitimité régionale, la chaîne sacrifie son intégrité et déçoit les attentes de ses téléspectateurs. Son rôle d’acteur de la désinformation affaiblit non seulement le débat public, mais aussi les efforts nécessaires pour bâtir une coopération régionale véritablement inclusive.
Comme le dit l’adage, quand la cour du mouton est sale, ce n’est pas au cochon de le dire.